Buffles en Zone Humide

Buffles en Zone Humide

d-news letter d' A FLEUR D'EAU

Les buffles d'eau pour entretenir et valoriser les zones humides

En Bretagne, une initiative originale en faveur de l’entretien des zones humides est réalisée par une association locale, qui prône le pâturage de ces milieux fréquemment voués à l’abandon par une espèce peu commune en France : le buffle d’eau. Jean-Pierre Ledunois, président de cette association, nous présente l’origine de cette démarche et ses intérêts.


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A fleur d’eau : Pouvez-vous nous expliquer les raisons de votre implication en faveur des zones humides ? Quelles sont les menaces qui pèsent sur les zones humides de Bretagne ?

Jean-Pierre Ledunois : Difficilement valorisables, mises à mal par l’urbanisation et l’agriculture intensive, les zones humides de Bretagne ont un besoin urgent d’être protégées. Bien que ces dernières années certaines mesures de protection ont été prises pour préserver les zones humides (interdiction du drainage, du remblaiement, de l’épandage de lisier, des traitements chimiques), ces dernières ne suffisent pas à elles seules à empêcher la dégradation des zones humides si utiles à la qualité de l’eau et au maintien de la biodiversité. Ces mesures sont en outre vécues comme des contraintes par les agriculteurs qui préfèrent laisser leurs terres marécageuses à l’abandon plutôt que de les entretenir. Il s’en suit que ces zones humides sont envahies de chardons et de saules ou plantées de peupliers (un moindre mal ?) qui les assèchent progressivement et les privent de leurs fonctions bénéfiques. Il devient urgent de mieux entretenir les zones humides.

A fleur d’eau : Bien sûr, mais par quels moyens ?

Jean-Pierre Ledunois : Mieux vaut un entretien mécanique que pas d’entretien du tout. La faucheuse passée une fois l’an évite la fermeture du milieu mais son emploi n’est pas possible partout, en particulier sur des sols non porteurs où les machines agricoles risquent de s’enliser, et il n’y a plus la main d’œuvre dans les campagnes pour un défrichage manuel. L’entretien mécanique d’autre part tend à favoriser les plantes envahissantes, qui repoussent plus vite et étouffent progressivement les espèces à développement moins rapide au détriment de la biodiversité végétale dans un premier temps et animale ensuite. A l’inverse le broutage régulier maintient l’équilibre entre les espèces végétales et les déjections animales amènent vers et insectes qui eux-mêmes attirent des batraciens et des oiseaux.

A fleur d’eau : Tous les ruminants domestiques se valent-ils pour entretenir une zone humide ?

Jean-Pierre Ledunois : A priori tous les herbivores d’élevage peuvent entretenir les terrains marécageux mais certains sont tout de même plus adaptés. Les moutons, chèvres et chevaux supportent mal de rester longtemps les pieds dans l’eau. Les vaches s’en sortent un peu mieux. D’ailleurs, il y a encore quelques décennies, on les mettait dans les prairies marécageuses en été pour qu’elles les entretiennent. Par contre, en hiver, les sols gorgés d’eau n’étaient en général pas suffisamment porteurs pour leur éviter de s’embourber. Dans ces conditions il n’y a guère que le buffle d’eau, et il porte bien son nom, qui soit parfaitement adapté à l’entretien des zones humides. Non seulement il ne craint pas l’humidité mais il passe dans des endroits où les bovins s’enliseraient. En outre il supporte le froid, protégé par la couche de graisse qu’il a sous la peau, qui lui permet de passer l’hiver en plein champ. Le buffle d’eau présente également l’avantage d’être plus résistant aux maladies bovines, ce qui permet de limiter l’intervention humaine et les traitements sanitaires.

A fleur d’eau : Les buffles d’eau sont donc mieux adaptés à des conditions difficiles. Mais leur pâturage est-il plus efficace que celui des bovins, alors que ces espèces sont relativement proches ?

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Jean-Pierre Ledunois : Les terrains marécageux ne sont pas réputés pour la qualité nutritive de leur végétation, ce qui explique en partie leur délaissement par les agriculteurs d’aujourd’hui qui préfèrent semer des pâtures dans des parcelles labourables. Les buffles sont des animaux rustiques, qui se contentent des fourrages grossiers peu appréciés des bovins, comme les chardons ou les pousses de saule qui prospèrent dans les marais et qui ont tendance à étouffer le milieu. Non seulement ils s’en contentent mais ils les recherchent car ils en ont besoin pour assurer leur transit intestinal et comme ils transforment mieux la matière ligneuse en viande que les bovins, ils grossissent aussi vite, voire plus, que ces derniers avec une ration alimentaire réputée moins riche. Les propriétaires de zones humides, tenus d’y faucher chardons et autres plantes indésirables auraient intérêt à les donner en pâture à des animaux comme les buffles d’eau qui sont adaptés à ce milieu et qui sont particulièrement dociles. Outre cet entretien « gratuit » qui préserve l’équilibre écologique du milieu, les éleveurs valorisent financièrement ces zones réputées non rentables.




A fleur d’eau : La solution paraît toute trouvée, et pourtant, vous nous avez fait part en début d’échanges du manque d’entretien des zones humides… Pourquoi le pâturage de ces parcelles n’est-il pas plus généralisé ?

Jean-Pierre Ledunois : Lors du remembrement, les terres les plus pauvres au plan agricole comme les landes ou les marécages ont été réparties entre les différents agriculteurs d’un secteur avec le résultat que chacun d’entre eux n’en possède qu’un faible pourcentage de son exploitation, pas assez pour envisager une production spécifique à ces lieux, d’autant plus que ces milieux fragiles supposent un mode d’élevage extensif (pas plus d’un animal à l’hectare).
La Bretagne est pourtant l’une des régions comportant le plus de zones humides, qui sont autant de milieux à protéger et à valoriser grâce entre autres à l’entretien animal. Mais cet objectif ne pourra être atteint qu’en regroupant les terres concernées et en y mettant des bêtes en commun à plusieurs, sans parler des incitations financières qui doivent accompagner une agriculture respectueuse de l’environnement.

A fleur d’eau : Le pâturage des zones humides par les buffles n’est donc pas forcément à prendre en compte à l’échelle d’une seule exploitation mais à envisager préférentiellement comme un « outil » à partager entre plusieurs exploitants…

Jean-Pierre Ledunois : Pour le particulier ou l’agriculteur qui souhaite seulement entretenir quelques hectares de zones humides, le buffle d’eau est l’animal approprié, avec toutefois la contrainte temps liée à la surveillance des clôtures, qui peut faire hésiter le professionnel pouvant difficilement s’éparpiller entre différentes activités.
L’avantage de constituer un troupeau commun à plusieurs agriculteurs, est de pouvoir diviser le temps consacré par chacun d’entre eux à l’atelier buffles.
Cette solution de cheptel partagé est davantage appropriée pour un troupeau allaitant. En cas de production laitière il semble préférable de rester en exploitation individuelle en sachant que les buffles s’accommodent bien du voisinage des bovins. En Italie de nombreux élevages sont mixtes, le schéma classique est de 300 vaches laitières plus une centaine de bufflonnes pour la production de fromage dont la fameuse mozzarella.

A fleur d’eau : Pour finir, parlez-nous un peu de votre association. Comment est née cette initiative originale ?

Jean-Pierre Ledunois : L’idée d’introduire des buffles en Bretagne m’est venue lors d’une randonnée au Vietnam en 2005. A force de longer à vélo les rizières et d’y voir travailler les buffles qui semblaient parfaitement à l’aise dans la boue, je me suis dit qu’ils auraient leur utilité dans nos marécages où le

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jonc est plus fréquent que le riz mais où l’humidité est autant prégnante. De retour en France, j’ai acheté quelques buffles dans une coopérative d’éleveurs du Cantal et l’année suivante avec une dizaine de personnes trouvant l’idée intéressante, j’ai lancé notre association. Chaque année quelques nouveaux éleveurs, essentiellement des particuliers, nous rejoignent augmentant ainsi le cheptel breton de buffles, cheptel modeste au regard de la population porcine ou bovine locale car pour l’instant les agriculteurs préfèrent rester spécialisés dans un type d’élevage pour lequel ils sont assurés de trouver des débouchés.
Depuis 5 ans maintenant, une vingtaine d’éleveurs de buffles se sont regroupés au sein de l’association Buffles en Zones Humides (BZH) pour promouvoir l’entretien animal des dites zones. Chaque année BZH organise une fête du buffle en Centre Bretagne (la dernière a eu lieu dimanche 2 octobre 2011) autour d’un repas qui permet de faire découvrir les qualités bouchères et fromagères de l’animal et de faire connaître l’intérêt du pâturage de cette espèce pour la préservation et la valorisation des zones humides.
Notre association n’ayant pas les moyens humains ni financiers de développer un marché pour valoriser les produits issus du buffle, nous en sommes réduits à espérer que son élevage se propagera lentement mais sûrement, à la manière de son pas assuré dans les sols les plus difficiles.



14/10/2012

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